LETTRES (3) DE VOYAGE AU PAYS DE NEA POLIS...
Cher Rica,
Nous voulons aujourd'hui t'entretenir d'un certain nombre de particularités de l'aimable pays de Nea Polis.
Aujourd'hui, les jardins de la province de Champagne voient tout à la fois fleurir toutes sortes de végétations qui d'ordinaire éclosent successivement mois après mois dans le printemps naissant. Depuis quelques jours seulement, les jonquilles, puis les jacintes à peine plus tard et déjà les tulipes, explosent en nuances dorées, en teintes d'azur, de vermillon ou de noirs veloutés. La végétation, paralysée par un long hiver marqué de gel et de neige, se libère...
Dans le pays des garibaldiens, il n'existe pas de jonquilles mais les fleurs mauves des kikouyous, et les fleurs roses des cerisiers, ou blanches des mirabelliers, sont des choses inconnues. Mais il existe là-bas les floraisons exquises de millions de petites boules de poils à la couleur citron: les mimosas. Nea Polis est la capitale du mimosa comme Vitry-le-François est la capitale du Perthois... Sur les pentes rocailleuses des propriétés, les grands eucalyptus flexibles à l'écorce grise et aux feuilles presque vertes ploient sous le vent de terre ou de mer selon les jours, à côté des longs cyprès sombres et élancés. En bord de mer, les pins parasols déploient leurs ombrelles chevelues... On rencontre encore parfois un bouquet de faux poivriers ou encore de petits lauriers. Enfin, dans la vieille ville de Cannes, nous promenant avec mon épouse, nous avons parcouru une rue bordée d'orangers portant déja leurs fruits mûrs...
Il nous semble aussi t'avoir déjà parlé des mouettes patrouillant sur les rivages, dans les calanques ou les ports. Elles paraissent plus grandes mais moins nombreuses que celles qui peuplent notre mer intérieure champenoise, le lac du Der-Chantecoq, ou même que celles qu'on rencontre en Mer duNord, du côté de Dieppe. Les mouettes de la Provence sont moins rieuses et gouailleuses. Elles ne poussent pas les incessants cris aigus que nous connaissons dans nos contrées. Elles ont aussi leur accent quand elles s'expriment: leur voix est rauque, pareille à celle de dogues...
Sur la plage de sable et de galets où nous avions pris nos habitudes entre les rochers de Théoule, une fin d'après-midi, un petit homme âgé, en béret, est venu s'installer à l'abri du vent, avec son petit chien noir. Il s'est assis et a mangé un fruit et un morceau de pain qu'il a partagé avec son compagnon. Puis il s'est mis à lire dans les pages d'un magazine. De temps à autre, il lançait vers les vagues un galet ou un bout de bois. Alors, son chien se précipitait pour le récupérer et le lui ramener. On pouvait y mesurer la pratique d'une modeste, longue et émouvante amitié. Lorsque nous nous sommes levés pour nous apprêter à regagner notre gîte, nous nous sommes aperçu que le petit homme au béret lisait "L'Humanité-Dimanche", dans son édition du 19 mars avec la couverture affichant "Ce que veulent les français...".
Voilà, mon cher Rica, tout ce que nous voulions te faire partager aujourd'hui, dans la douceur de la température d'un dimanche très printanier.
Nous te chargeons de transmettre à tous les merles moqueurs et à tous les pigeons bleus nos plus vives amitiés.
À très bientôt pour les dernières nouvelles de demain, comme disait autrefois une commentatrices qui eu son heure de notoriété.
Usbek du Perthois.
Transmis par NOSE DE CHAMPAGNE.