CRÉPUSCULE D'ÉTÉ
par Le Yéti, jeudi 16 août 2007 et aimablement prêté par son auteur, à ma demande ce 17/08/2007.
On peut faire un « coucou » amical à notre ami Yéti sur (www.yetiblog.org).
« L'été maussade aborde sa dernière phase. Entre vents mauvais, tornades de pluie et températures "en-dessous des normales saisonnières".
Ça ne va guère mieux du côté de l'esquif humain.
Même les nantis prennent l'eau. Leur temple boursier se fissure. En quelques jours, pendant que sombre dans l'indifférence quasi générale un autre bateau de réfugiés affamés venus quémander quelques cents, les banques centrales injectent des milliards de devises pour tenter de sauver la mise à une poignée de repus affolés. L'obscénité est à son comble.
Ailleurs, des escouades d'oiseaux noirs continuent de pourchasser quelques pauvres hères sans papier. Les maîtres du monde s'enlisent partout où ils sont intervenus au nom de leur Bien, semant douleur et consternation. Notre nouveau président, obnubilé par son miroir, brasse l'air envers et contre tout. La foule est muette.
Notre société humaine touche le fond. Et plutôt que d'amorcer une remontée, on creuse[1].
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Je ne ressens ni écœurement, ni colère. Juste ce qu'on pourrait appeler un effet persistant de sidération. Et un brin de compassion détachée. Pour le reste, je me plonge dans mon bouquin estival à moi, la correspondance entre Albert Camus et René Char[2].
"On parle de la douleur de vivre (écrivait le premier au second). Mais ce n'est pas vrai, c'est la douleur de ne pas vivre qu'il faut dire. Et comment vivre dans ce monde d'ombres ?"
Vivre, c'est bien là la question. Passer son temps en contemplateur critique et ironique des naufrages humains est une bien pâle occupation. Attendre des jours meilleurs avec une patience de femme de marin conduit tout droit aux deuils des illusions. Il n'y aura bien sûr JAMAIS de "grand soir", même si nous continuerons à faire comme si parce que le cours des choses serait trop décourageant.
"Cette lutte qui n'en finit plus (continuait Camus, toujours à l'adresse de son ami Char), cet équilibre harassant (et à quel point j'en sens parfois l'épuisement !) nous unissent, quelques-uns aujourd'hui. La pire chose après tout serait de mourir seul, et plein de mépris. Et tout ce que vous êtes, ou faites, se trouve au-delà du mépris."
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Sur la table de la cuisine, les mains pétrissent patiemment la pâte, en font une petite boule ronde, l'étalent. Les mains découpent les mirabelles en deux, en extraient le noyau. Le jus des fruits coule et se mêle aux traces de farine sur les doigts. La tarte sera servie dans le salon. Le salon aux murs gris clair, peints par les mains, comme toutes les pièces de la maison. Gris et bleu pour les pièces orientées vers la mer, jaunes et rouges côté bois et jardin où les mains, toujours elles, ont disposé avec un soin jaloux fleurs, plantes et massifs. Des mains qui ont dessiné le décor au point de s'y fondre.
Pourquoi négligeons-nous tant ce décor, ces mains indispensables, ce cadre incontournable de notre "voyage à domicile". Le seul en réalité qui en vaille la peine. Les ailleurs que nous poursuivons obstinément n'existent pas. Qu'on soit ici ou ailleurs, nous sommes toujours là où nous sommes. Le seul but du voyage est de transfigurer l'ordinaire. Et celui de tous ceux qui tentent d'échapper comme nous, avec nous, à l'agitation imbécile.
Vaste tâche, "au-delà du mépris".
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Le crépuscule tombe sur l'estuaire. Un cargo s'engage entre mer et nuages menaçants. J'aime ce mot, crépuscule, qui désigne à la fois la tombée de la nuit et le lever du jour. Dans ma tête flotte le refrain de la chanson de l'été[3] :
Un baiser une bombe
De ta bouche explose
Sur ma bouche en plein jour
C'est drôle, non, de passer du récit d'un naufrage à de furieuses envies de baisers qui explosent en bombes sur nos bouches ? »
[1] "Partout, quand on touche le fond, on finit par remonter. En Algérie, quand on touche le fond, on creuse !" (Fellag, humoriste algérien).
[2] Correspondance 1946-1959 (éd. Gallimard).
[3] Un baiser une bombe, David Lafore Cinq Têtes (album "II", Opéra/l'Autre distribution).
Note supplémentaire du Merle Moqueur: la photo qui figure en illustration n'est pas celle qui figure sur le site du Yéti. C'est une photo que j'ai retenue, et que j'ai réussi à intégrer après moult tentatives infructueuses, après avoir consulté des centaines de photos et des dizaines de sites passionnants sur la mer, la météo et les bateaux.
NOSE DE CHAMPAGNE.