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LE MERLE MOQUEUR
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8 mai 2007

DEUX ARTICLES QUI RÉFLÉCHISSENT DANS L’HUMANITÉ DES DÉBATS DU 05/05/2007

1.                  Où en sont les « fondamentaux idéologiques » ?

RESTOCOEURDans le paysage politique, le déplacement à droite au premier tour présidentiel est indéniable. S‘explique-t-il par un basculement idéologique de même ampleur ? Si l’on s’en tient à ce qui favorise traditionnellement les votes de droite et d’extrême droite, rien n’est moins sûr. 50% des personnes interrogées se disaient « tout à fait d’accord » avec « il y a trop d’immigrés en France » en 1993 ; elles ne sont plus que 31% en 1997 et 28% en 2007. Deux français sur trois estiment désormais que les étrangers résidant en France devraient pouvoir voter aux élections municipales. Recul encore plus prononcé à propos de la peine de mort (61% souhaitent son rétablissement en 1993, 33% seulement en 2007) ou de l’homophobie. Rien n’indique non plus, dans les données actuellement disponibles, une adhésion accrue au libéralisme économique. Un enquêté sur deux réagit négativement à « profit » en 2007 (contre seulement un sur trois en 1988). La côte de « libéralisme » ne varie pratiquement pas, celle de

« mondialisation » est en baisse. Et avec 75% d’opinions favorables, « service public » reste massivement plébiscité. Sur ces dimensions, le peuple qui s’est massivement exprimé en 2007 reste celui qui avait en 2005 donné la victoire au « non ».

Mais ne faut-il pas chercher ailleurs ? Bien des « brèves » entendues en cours de campagne témoignent moins d’un refus « individualiste » de l’aide aux plus défavorisés que de la crainte qu’elle soit intégralement facturée à ceux qui, travaillant dur, ont pourtant trop peu. Tel cet ouvrier de cinquante-cinq ans (L’Humanité du 27 avril) : « je suis d’accord avec le social(…) mais il y en a quand même qui, avec les aides, vivent mieux que nous. Tout se paie et sur qui on tape ? sur nous, les ouvriers . » Cette préoccupation existe aussi sans doute dans les catégories moyennes et supérieures du salariat. Nous la trouvions déjà en 1978. Ce qui est peut-être nouveau, c’est l’angoisse d’un déclassement généralisé qui, affectant l’ensemble du salariat dit à tort « installé », favorise la diffusion de ce syndrome et en aggrave la virulence. Les immigrés « à qui on donne tout » restent un objet de rancœur, surtout dans les catégories populaires. Mais ce sont tous les « assistés » qui peuvent les rejoindre dans un opprobre plus ou moins euphémisé : érémistes, chômeurs, jeunes qui « refusent l’effort », soixante-huitards attardés, etc. Il ne s’agit que d’hypothèses. Toutefois, par rapport à juin 2005, la proportion de ceux qui estiment que « les chômeurs pourraient trouver un travail s’ils le voulaient vraiment » semblent fortement accrue. Dans quelles catégories ? Quels rapports avec les choix électoraux ? Seules les recherches en cours permettront de proposer au moins un début de réponse.

On voit en tout cas combien des promesses sociales, même « modérées », voire l’appel à une société solidaire peuvent être paradoxalement contre-productifs quand, comme chez la candidate socialiste, elles coexistent avec le silence sur leur financement dont, notamment, l’incontournable prélèvement sur la part croissante des richesses accaparées par les nantis. La difficulté d’une gauche antilibérale éclatée à faire entendre son message a encore aggravé les choses. Face à cette carence, la synthèse idéologique dont Sarkozy s’est fait le porte parole se révèle plus que redoutable. « Travaillons plus pour gagner plus » représente une version totalement mythifiée de « prenons nous-mêmes en main notre vie » (chacun pour soi, chacun par soi). Elle est pleinement consonantes avec les thèses du MEDEF et l’exaltation du « tout privé ». L’appel à l’autorité et à la répression en tous les domaines, notamment en matière d‘immigration, des postures aux limites de la xénophobie, l’idée que la réussite ou l’échec d’un individu sont prédéterminés par ses gènes en constituent le prolongement logique. Nul ne regrette le recul électoral de Le Pen. Mais le recyclage de son « fonds » au sein d’une version beaucoup plus sophistiquée (et, en un sens, rassembleuse) d’une idéologie de droite tout aussi dure constitue un fait nouveau dont il faut prendre la mesure. Certes, le scrutin du premier tour n’a pas que des côtés noirs (niveau de participation, vote des banlieues). Nous n’avons pas fini d’y réfléchir.

Par Michel SIMON, sociologue, professeur émérite à l’Université de Lille I.

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